samedi 31 janvier 2015

Lunel, laboratoire miniature du djihad « made in France »

Lunel, laboratoire miniature du djihad « made in France »



Au grand dam de ses habitants, la commune de Lunel, dans l’Hérault, est devenue un objet de curiosité médiatique. Surnommée la « petite Jérusalem » au Moyen Age, bastion protestant combattu par la royauté au XVIIe siècle, la ville est aujourd’hui regardée comme un laboratoire miniature du djihad « made in France ». Au point qu’un article lui a été consacré dans les pages du New York Times, le 16 janvier.



Depuis novembre 2013, une vingtaine de Lunellois – en comptant femmes et enfants – ont rejoint la Syrie. Six y ont perdu la vie, soit près d’un dixième du nombre de Français morts dans le pays. La section « française » de cette cellule d’acheminement a été démantelée, mardi 27 janvier, par une descente de police. A l’issue de leur garde à vue, samedi 31, les cinq jeunes hommes interpellés ont été mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».



Adil B., 36 ans, et Ali A., 44 ans, sont récemment rentrés de Syrie. Hamza M., 26 ans, dont trois frères sont partis faire le djihad, est considéré comme le « relais » principal entre Lunel et Alep. Jawad S., 28 ans, est soupçonné d’avoir voulu monter des escroqueries pour financer son voyage et celui de ses camarades. Quant à Saad B., 26 ans, il est accusé d’avoir facilité le départ de son frère, qui en est mort.



Une vingtaine de candidats au djihad dans une commune d’à peine 26 000 âmes : le cas a frappé les esprits. Il n’y a pourtant pas de spécificité lunelloise. A Lunel, comme à Strasbourg, Nice ou Toulouse, les cellules d’acheminement se construisent par capillarité. Il s’agit généralement de bandes de copains qui s’influencent mutuellement jusqu’à constituer des foyers de départs. Une dynamique horizontale susceptible de toucher dans les mêmes proportions grandes villes et petites communes.

Vague de départs



Les membres de la cellule de Lunel se sont pour la plupart connus au collège. Ils jouaient au basket ensemble. Quelques années plus tard, ils ont repris contact en fréquentant la mosquée El Baraka, d’obédience tabligh, un mouvement prosélyte piétiste qui n’appelle pas à la violence. En marge de la communauté des fidèles – la génération de leurs parents –, ils constituent un « groupe de prière », au sein duquel ils se retrouvent le soir. Ils œuvrent parallèlement dans une association caritative musulmane qui vient en aide aux malades et aux familles déshéritées.



Animés par cette quête humanitaire, religieuse et communautaire, les jeunes gens s’intéressent peu à peu au conflit syrien. Ils s’informent sur Internet, regardent des vidéos, s’imprègnent du devoir de défendre leurs « frères » oppressés. En novembre 2013, deux mois après que les Etats-Unis ont renoncé à intervenir contre l’armée de Bachar al-Assad, une première équipée s’envole pour la Syrie. Ces pionniers sont soupçonnés d’avoir rejoint une « katiba » – un bataillon – affiliée au Front Al Nosra, un groupe djihadiste rallié à Al-Qaida, celle de Mourad Fares et Omar Diaby, les deux principaux recruteurs français.

« Relais »



Parmi eux, Abdelkarim B., trésorier de l’association, perdra la vie en décembre 2014. Son frère Saad, 26 ans, soupçonné de l’avoir aidé à partir, a été mis en examen samedi. En février, mai, puis juillet 2014 se succéderont trois nouvelles vagues de départs. La destination a changé : les Lunellois rejoignent désormais les rangs de l’Etat islamique, qui a pris le dessus militairement et médiatiquement sur Al Nosra. Selon les services de renseignement, certains font office de « passeurs » à la frontière turco-syrienne, d’autres de surveillants ou d’instructeurs.



Les trois frères M., dont deux sont morts au combat, sont soupçonnés des pires exactions. Le quatrième de la fratrie, Hamza, qui n’est jamais parti, a lui aussi été mis en examen samedi. Il est considéré par la Direction générale de la sécurité intérieure comme le membre le plus actif de la cellule lunelloise, celui qui animait les réunions du « groupe de prière ». C’est ce jeune homme qui, par l’intermédiaire de ses frères en Syrie, est soupçonné d’avoir fait office de « relais » pour les velléitaires.



La mosquée de Lunel, d’obédience tabligh, a-t-elle eu une influence sur la décision de ces jeunes gens de rejoindre la Syrie ? Sans doute pas directement. Ce mouvement missionnaire est apolitique et rejette toute violence. Mais à entendre celui qui a géré la mosquée jusqu’en 2012, sa lecture littéraliste des textes a pu contribuer à légitimer leur départ.



« Ils voulaient vivre leur religion. Ils sont morts, c’est leur choix, explique Meziane Ben Abdelkader. Ils n’ont fait aucun attentat en France. Pourquoi ils partent ? Parce qu’on les empêche de pratiquer leur religion : il y a le problème du voile à l’école, des certificats pour l’Aïd, énumère-t-il. Mon fils voulait apprendre la religion. Il ne parlait jamais de combattre. » Il est mort en Syrie au mois de mai.








Lunel, laboratoire miniature du djihad « made in France »

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