ÉDITO Un Mondial de hand ? Mais pour quoi faire ?!
La Fédération internationale de handball (IHF) doit redéfinir son règlement sur la naturalisation des joueurs si elle ne veut pas, à l'avenir, que ses championnats du monde ne virent encore plus à la farce que le déplorable épisode qatari.
La finale du championnat du monde de handball n'oppose pas l'équipe de France à l'équipe du Qatar. Elle oppose l'équipe de France à une équipe de joueurs portant un maillot blanc et pourpre, avec écrit "Qatar" dessus. Face à face, une équipe patiemment construite, grâce à un système de formation d'une qualité inégalée, et une équipe qui n'existait pas il y a deux ans. Des hommes fiers de jouer pour le pays dans lequel ils ont grandi, et d'autres qui ne savaient peut-être même pas, il y a deux ans, placer sur une carte celui qu'ils représentent aujourd'hui. Deux véritables équipes de handball. Mais l'une est aussi une véritable équipe nationale, l'autre est une équipe nationale artificielle.
Les membres de l'effectif hispano-franco-tuniso-égypto-syro-monténégro-bosno-cubano-qatarien, emmenés par le sélectionneur (espagnol) Valero Rivera, en ont pris plein la tronche depuis le début du tournoi, sur l'air de la bande de mercenaires ayant vendu leur âme à l'émir contre une poignée de gazodollars. Mais le problème ne vient pas des joueurs, qui ne font que ce que le règlement de l'IHF (et leur conscience, certes) leur permet. En l'occurrence, le premier point de l'article 6 du Code dadmission pour joueurs de handball(1), qui autorise un pays à recruter un nombre illimité de handballeurs n'ayant pas été sélectionnés dans un autre depuis trois ans.
Plus l'équipe du Qatar a avancé dans le tournoi, moins on a parlé de sport à son sujet, et plus on s'est orienté vers un débat sportivo-philosophique. Oui, la façon dont Valero Rivera a assemblé en un temps record son puzzle de joueurs - qui ne pouvaient ou ne voulaient plus jouer pour leur pays - est admirable. Mais à quoi bon organiser un championnat des nations, si les équipes qui le jouent n'ont rien de national, et sont bâties comme les clubs ?
En attribuant l'organisation du Mondial 2015 au Qatar il y a quatre ans, l'IHF agissait avec, entres autres motivations, l'intention louable de promouvoir son sport ailleurs qu'en Europe, seul continent où il soit solidement implanté et compétitif. On ne sait pas si le succès de l'équipe-patchwork censée représenter l'émirat donnera envie aux jeunes de cette région du globe de se mettre au handball. Il semble aujourd'hui plus probable qu'il donne envie aux Emirats arabes unis, à l'Arabie saoudite ou à Bahreïn - des pays aussi puissants sur le plan financier, et ayant également un minimum de culture handball - l'envie d'imiter leur voisin qui, en signant quelques chèques, s'est offert une publicité en mondovision, même si son image n'en ressortira pas forcément plus brillante.
TOUT LE MONDE VEUT VOIR L'ÉQUIPE DU QATAR PERDRE
La présence du Qatar en finale est déjà une sacrée secousse dans le monde du handball. Sa victoire en finale face à l'équipe de France serait une déflagration monumentale dans le monde du sport, qui remettrait en question le principe-même d'équipe nationale, et donc l'existence des compétitions internationales. A quoi bon s'esquinter à mettre en place un système de formation efficace - et pas gratuit, certes -, s'il suffit de garnir quelques comptes en banque pour bâtir une équipe performante ? En tant qu'amoureux de ce sport, comment ne pas être dégoûté ? En tant que journaliste, à quoi bon continuer de le couvrir ?
Ces messieurs de l'IHF ont-ils seulement conscience de cela ? Perçoivent-ils les railleries - et maintenant qu'elle est aux portes d'un triomphe, le malaise - que suscite l'équipe qatarienne ? Ont-ils vu les supporters français soutenir de toutes leurs forces la Pologne, vendredi, lors de sa demi-finale face au Qatar ? Ont-ils entendu le message que les autres équipes ont adressé aux Bleus, et que Cyril Dumoulin, gardien de but n°2 de l'équipe de France, nous a confié ? "Tous les joueurs qu'on a croisés à l'hôtel depuis hier nous ont dit qu'il fallait qu'on gagne, pour le sport."
QU'EST-CE QU'UNE NATION ?
"Ce Qatar, personne ne veut le voir gagner, sauf les gens d'ici, disait Claude Onesta, qui regarde tout ça avec beaucoup de recul, après la demi-finale face à l'Espagne. Donc on va devoir porter beaucoup de choses sur les épaules." La finale de dimanche ne pourra pas échapper à sa portée symbolique, et une victoire de l'équipe de France aura valeur de message, même si le sélectionneur français évacue cette dimension dans la préparation de la rencontre :
"Notre rôle, c'est de préparer le match, non pas dans des idées de revanche sur quoi que ce soit, ou des messages subliminaux. Après, je peux effectivement me dire que ça serait un message utile, et que si on tient à ce que les compétitions internationales demeurent, il faut peut-être que la notion de nationalité demeure. Sinon, c'est une espèce de grand bazar où tout le monde fait un peu ce qu'il veut. Mais ça ne doit pas venir dans la logique du match. Je ne sais même pas quelle est la position de mes joueurs par rapport à ça, et je n'ai pas à leur demander. Leur message à eux, c'est d'être champions du monde, de battre une équipe qui leur est proposée. Moi, je sais ce que j'en pense pour moi-même, et je sais que j'aurai une motivation particulière pour ce match-là."
Onesta soulève la question fondamentale, celle qui sous-tend tout le débat, et qui est la suivante : le concept de nation a-t-il encore une signification ? D'évidence, au Qatar, où moins de 300 000 des 2,2 millions d'habitants ont la nationalité qatarienne, il n'a pas le même sens qu'ailleurs.
"Je ne suis pas admiratif de l'équipe du Qatar, parce que ce n'est pas l'image que je me fais d'une sélection nationale, ni de la nationalité, explique le sélectionneur français. J'apporte une valeur à ce qu'est le pays, à ce que sont les racines." Tout le monde n'est pas obligé d'attacher de l'importance à ces questions, comme c'est visiblement le cas des joueurs de l'équipe de handball du Qatar. Mais le débat ne se limite pas au Qatar, ni au handball. D'autres pays - quoique jamais dans ces proportions - et d'autres disciplines - à commencer par le rugby, voir l'exemple du XV de France - ont attiré des joueurs de l'autre bout du monde en bénéficiant de la souplesse des règlements. On n'a sûrement pas encore assisté à tous les effets de la mondialisation sur le sport.
La Fédération internationale de handball (IHF) doit redéfinir son règlement sur la naturalisation des joueurs si elle ne veut pas, à l'avenir, que ses championnats du monde ne virent encore plus à la farce que le déplorable épisode qatari.
La finale du championnat du monde de handball n'oppose pas l'équipe de France à l'équipe du Qatar. Elle oppose l'équipe de France à une équipe de joueurs portant un maillot blanc et pourpre, avec écrit "Qatar" dessus. Face à face, une équipe patiemment construite, grâce à un système de formation d'une qualité inégalée, et une équipe qui n'existait pas il y a deux ans. Des hommes fiers de jouer pour le pays dans lequel ils ont grandi, et d'autres qui ne savaient peut-être même pas, il y a deux ans, placer sur une carte celui qu'ils représentent aujourd'hui. Deux véritables équipes de handball. Mais l'une est aussi une véritable équipe nationale, l'autre est une équipe nationale artificielle.
Les membres de l'effectif hispano-franco-tuniso-égypto-syro-monténégro-bosno-cubano-qatarien, emmenés par le sélectionneur (espagnol) Valero Rivera, en ont pris plein la tronche depuis le début du tournoi, sur l'air de la bande de mercenaires ayant vendu leur âme à l'émir contre une poignée de gazodollars. Mais le problème ne vient pas des joueurs, qui ne font que ce que le règlement de l'IHF (et leur conscience, certes) leur permet. En l'occurrence, le premier point de l'article 6 du Code dadmission pour joueurs de handball(1), qui autorise un pays à recruter un nombre illimité de handballeurs n'ayant pas été sélectionnés dans un autre depuis trois ans.
Plus l'équipe du Qatar a avancé dans le tournoi, moins on a parlé de sport à son sujet, et plus on s'est orienté vers un débat sportivo-philosophique. Oui, la façon dont Valero Rivera a assemblé en un temps record son puzzle de joueurs - qui ne pouvaient ou ne voulaient plus jouer pour leur pays - est admirable. Mais à quoi bon organiser un championnat des nations, si les équipes qui le jouent n'ont rien de national, et sont bâties comme les clubs ?
En attribuant l'organisation du Mondial 2015 au Qatar il y a quatre ans, l'IHF agissait avec, entres autres motivations, l'intention louable de promouvoir son sport ailleurs qu'en Europe, seul continent où il soit solidement implanté et compétitif. On ne sait pas si le succès de l'équipe-patchwork censée représenter l'émirat donnera envie aux jeunes de cette région du globe de se mettre au handball. Il semble aujourd'hui plus probable qu'il donne envie aux Emirats arabes unis, à l'Arabie saoudite ou à Bahreïn - des pays aussi puissants sur le plan financier, et ayant également un minimum de culture handball - l'envie d'imiter leur voisin qui, en signant quelques chèques, s'est offert une publicité en mondovision, même si son image n'en ressortira pas forcément plus brillante.
TOUT LE MONDE VEUT VOIR L'ÉQUIPE DU QATAR PERDRE
La présence du Qatar en finale est déjà une sacrée secousse dans le monde du handball. Sa victoire en finale face à l'équipe de France serait une déflagration monumentale dans le monde du sport, qui remettrait en question le principe-même d'équipe nationale, et donc l'existence des compétitions internationales. A quoi bon s'esquinter à mettre en place un système de formation efficace - et pas gratuit, certes -, s'il suffit de garnir quelques comptes en banque pour bâtir une équipe performante ? En tant qu'amoureux de ce sport, comment ne pas être dégoûté ? En tant que journaliste, à quoi bon continuer de le couvrir ?
Ces messieurs de l'IHF ont-ils seulement conscience de cela ? Perçoivent-ils les railleries - et maintenant qu'elle est aux portes d'un triomphe, le malaise - que suscite l'équipe qatarienne ? Ont-ils vu les supporters français soutenir de toutes leurs forces la Pologne, vendredi, lors de sa demi-finale face au Qatar ? Ont-ils entendu le message que les autres équipes ont adressé aux Bleus, et que Cyril Dumoulin, gardien de but n°2 de l'équipe de France, nous a confié ? "Tous les joueurs qu'on a croisés à l'hôtel depuis hier nous ont dit qu'il fallait qu'on gagne, pour le sport."
QU'EST-CE QU'UNE NATION ?
"Ce Qatar, personne ne veut le voir gagner, sauf les gens d'ici, disait Claude Onesta, qui regarde tout ça avec beaucoup de recul, après la demi-finale face à l'Espagne. Donc on va devoir porter beaucoup de choses sur les épaules." La finale de dimanche ne pourra pas échapper à sa portée symbolique, et une victoire de l'équipe de France aura valeur de message, même si le sélectionneur français évacue cette dimension dans la préparation de la rencontre :
"Notre rôle, c'est de préparer le match, non pas dans des idées de revanche sur quoi que ce soit, ou des messages subliminaux. Après, je peux effectivement me dire que ça serait un message utile, et que si on tient à ce que les compétitions internationales demeurent, il faut peut-être que la notion de nationalité demeure. Sinon, c'est une espèce de grand bazar où tout le monde fait un peu ce qu'il veut. Mais ça ne doit pas venir dans la logique du match. Je ne sais même pas quelle est la position de mes joueurs par rapport à ça, et je n'ai pas à leur demander. Leur message à eux, c'est d'être champions du monde, de battre une équipe qui leur est proposée. Moi, je sais ce que j'en pense pour moi-même, et je sais que j'aurai une motivation particulière pour ce match-là."
Onesta soulève la question fondamentale, celle qui sous-tend tout le débat, et qui est la suivante : le concept de nation a-t-il encore une signification ? D'évidence, au Qatar, où moins de 300 000 des 2,2 millions d'habitants ont la nationalité qatarienne, il n'a pas le même sens qu'ailleurs.
"Je ne suis pas admiratif de l'équipe du Qatar, parce que ce n'est pas l'image que je me fais d'une sélection nationale, ni de la nationalité, explique le sélectionneur français. J'apporte une valeur à ce qu'est le pays, à ce que sont les racines." Tout le monde n'est pas obligé d'attacher de l'importance à ces questions, comme c'est visiblement le cas des joueurs de l'équipe de handball du Qatar. Mais le débat ne se limite pas au Qatar, ni au handball. D'autres pays - quoique jamais dans ces proportions - et d'autres disciplines - à commencer par le rugby, voir l'exemple du XV de France - ont attiré des joueurs de l'autre bout du monde en bénéficiant de la souplesse des règlements. On n'a sûrement pas encore assisté à tous les effets de la mondialisation sur le sport.
ÉDITO Un Mondial de hand ? Mais pour quoi faire ?!
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