Le patinage préfère toujours les musiques sans paroles
La saison 2014-2015 promettait une révolution en patinage artistique, presque l'équivalent du passage du muet au parlant pour le cinéma : l'autorisation, longtemps rejetée par l'ISU (l'Union internationale de patinage) d'utiliser des musiques avec paroles, autrement dit des chansons, allait faire basculer la discipline dans la modernité. Le hip-hop et le R'n'B pouvaient prendre d'assaut les patinoires. Cette levée avait été votée en 2012 à une majorité des deux tiers lors d'un congrès de l'ISU, enfin conscient qu'il fallait sans délai rajeunir un public vieillissant. Elle est entrée en application après les jeux de Sotchi de février 2014, qui virent en Russie le triomphe du classicisme.
Les championnats du monde, pour la première fois accueillis par la Chine, qui se sont terminés dimanche 29 mars à Shanghaï, attestent que l'impact de cette mesure est pour le moment plutôt limité. Peu suicidaires, les compétiteurs n'ont apparemment pas été désireux de brusquer trop rapidement des habitudes séculaires.
C'est sur l'adagio du Concerto pour piano n° 23 de Mozart, pour le programme libre, que les nouveaux phénomènes tricolores, les jeunes Gabriela Papadakis et Guillaume Cizeron, 19 et 20 ans, ont remporté la médaille d'or en danse sur glace vendredi 27 mars, devenant les premiers champions du monde français en patinage depuis Brian Joubert, sacré à Tokyo en 2007. Cet extrait d'une infinie tristesse du divin Wolfgang est bien connu des cinéphiles puisqu'il accompagna le film mélodramatique L'Incompris (1966) de Luigi Comencini, et plus récemment, Le Nouveau Monde (2005) de Terrence Malick. Mais aussi une publicité d'Air France, réalisée en 2011 par le chorégraphe Angelin Preljocaj avec les danseurs Virginie Caussin et Benjamin Millepied.
On est loin des audaces qu'osaient les mêmes Papadakis et Cizeron lorsque, pour leur première saison chez les seniors, en 2013-2014, ils patinaient sur les tambours funèbres et les froids synthés du musicien lyonnais Woodkid. A cette date, il était déjà autorisé en dehors des exhibitions de choisir des musiques avec paroles pour la danse sur glace, en raison notamment de la multiplicité des styles musicaux abordés pour le programme court, qui vont du blues au cha-cha-cha ou à la rumba. Depuis son intronisation, en 1976, la quatrième des disciplines olympiques faisait office d'avant-garde.
Aux Mondiaux de Pékin, les médaillés d'argent, les Américains Madison Chock et Evan Bates se sont pourtant sagement illustrés sur Un américain à Paris de George Gershwin, entendu pour la deuxième fois lors de la finale, alors que les troisièmes, les Canadiens Kaitlyn Weaver et Andrew Poje, ont brillé par leur originalité en optant pour Les Quatre Saisons de Vivaldi.
Les jurés, sourcilleux gardiens de la tradition
C'est que, plus encore que le conservatisme supposé du public, il convient de ne pas brusquer les jurés, sourcilleux gardiens de la tradition, notamment ceux issus des pays d'Europe de l'Est. Nathalie Péchalat et Fabian Bourzat, couple numéro un de la danse sur glace en France avant l'avènement de Papadakis et Cizeron, l'avaient constaté à leurs dépens à Sotchi.
Pour leur dernière saison, les champions d'Europe 2011 et 2012 avaient retenu un medley original, intitulé Le Petit Prince et sa rose, mêlant Jeux interdits au Carrousel du Cirque du Soleil. Ils échouèrent au pied du podium olympique, devancés par les Russes Elena Ilinykh et Nikita Katsapalov, ovationnés pour un Lac des cygnes qui fut salué par la projection de dizaines de bouquets de fleurs sur la patinoire Iceberg.
« En fait, on n'avait pas de gros espoirs quand on a vu le tirage au sort des juges », reconnut après coup Fabian Bourzat. Sa partenaire maugréait, elle, contre ces concurrents qui « bétonnent avec les classiques du ballet russe ». Bourzat ajoutait qu'« il faudrait que les juges sortent du milieu du patinage et regardent Danse avec les stars », l'émission de TF1 que Péchalat a d'ailleurs rejointe à sa retraite.
Samedi à Shanghaï, chez les hommes, l'Espagnol Javier Fernandez a créé la surprise davantage en devançant le champion du monde et champion olympique en titre, le Japonais Yuzuru Hanyu, qu'en patinant sur du Rossini. Le Français Florent Amodio, qui a fini neuvième, est celui qui avait tenté de faire bouger les lignes dès la saison 2011-2012. Il avait alors fait fi du règlement de l'époque en se présentant sur une sélection de chansons de Michael Jackson, des Black Eyed Peas ou de Timbaland, quitte à laisser des points au passage.
Rachmaninov, un des premiers pourvoyeurs du patinage
Les femmes ont, de leur côté, privilégié les instrumentaux. La Russe Elizaveta Touktamycheva s'est imposée sur du disco italien faisandé (le groupe La Bionda) devant la Japonaise Satako Miyahara, qui a jeté son dévolu sur un extrait de la comédie musicale Miss Saïgon de Claude-Michel Schönberg, auteur de l'immortel slow Le Premier Pas. La troisième, la Russe Elena Radionova, a rétabli la tradition avec du Rachmaninov. Avec ses compères saint-pétersbourgeois, l'inusable Tchaïkovsky (Le Lac des cygnes, Casse-noisette, Roméo et Juliette) et Rimski-Korsakov (Shéhérazade), le compositeur demeure un des premiers pourvoyeurs du patinage, surtout avec l'adagio de son Concerto pour piano n° 2 (également connu pour avoir engendré la mélodie du classique pop All By Myself) et sa Rhapsodie sur un thème de Paganini.
Les classiques ont donc encore de beaux jours devant eux. On n'a pas fini d'entendre dans les patinoires l'espagnolade du Concerto d'Aranjuez de Rodrigo, la valse viennoise du Beau Danuble Bleu de Johann Strauss II, la sensibilité française avec La Méditation de Thaïs de Jules Massenet et évidemment le Carmen de Bizet, finlandaise avec La Valse triste de Jean Sibelius Sans oublier les deux Clair de lune, que ce soit celui de Debussy ou celui de la sonate de Beethoven. Pour le programme court, La Danse du sabre d'Aram Khatchatourian a peu de risques d'être détrônée puisque sa durée, d'environ 2 min 30, convient idéalement à ce format.
La fantaisie n'est pas encore de mise et l'imagination pas proche de prendre le pouvoir. Y compris pour les musiques de film. Là, le compositeur de Fellini Nino Rota continue de remporter les suffrages avec La Strada ou son Roméo et Juliette (celui du film de Franco Zeffirelli). La vogue pour La Liste de Schindler, inaugurée par Katarina Witt, semble en revanche déjà passée puisqu'on n'a ouï qu'une seule fois le violon d'Itzhak Perlman lors de ces Mondiaux. Peut-être parce qu'une controverse avait accompagné la prestation de la jeune (15 ans) patineuse russe Ioulia Lipnitskaïa, qui portait une robe vermillon rappelant la fillette au manteau rouge dans le film de Steven Spielberg, consacré à la Shoah.
Au rayon des comédies musicales, il serait tout de même bon que les coachs et les chorégraphes se consultent. Afin que les spectateurs ne soient plus obligés d'entendre à cinq reprises lors de l'épreuve masculine le Phantom of the Opera d'Andrew Lloyd Webber
MUSE, LANA DEL REY, CHRISTINA AGUILERA OU PETER GABRIEL
On retiendra toutefois que les Canadiens Meagan Duhamel et Eric Radford ont décroché la médaille d'or en couple grâce à un medley de chansons d'un groupe de rock en activité, les Britanniques Muse qui uvrent dans le « symphonique » pour leurs admirateurs, le pompier pour leurs détracteurs. Mais les juges ont moins goûté d'autres tentatives de renouvellement faites sur des chansons de Lana Del Rey, Christina Aguilera ou Peter Gabriel.
Il reste un peu moins de trois ans pour qu'à Pyeongchang (Corée du Sud), se tiennent, en février 2018, les premiers Jeux chantants pour le patinage. D'ici là, on peut déjà parier que les plus démagogiques auront intégré le viral Gangnam Style de Psy, alias Park Jai-sang, à leur programme pour se mettre les spectateurs du pays du Matin-Calme dans leur poche.
La saison 2014-2015 promettait une révolution en patinage artistique, presque l'équivalent du passage du muet au parlant pour le cinéma : l'autorisation, longtemps rejetée par l'ISU (l'Union internationale de patinage) d'utiliser des musiques avec paroles, autrement dit des chansons, allait faire basculer la discipline dans la modernité. Le hip-hop et le R'n'B pouvaient prendre d'assaut les patinoires. Cette levée avait été votée en 2012 à une majorité des deux tiers lors d'un congrès de l'ISU, enfin conscient qu'il fallait sans délai rajeunir un public vieillissant. Elle est entrée en application après les jeux de Sotchi de février 2014, qui virent en Russie le triomphe du classicisme.
Les championnats du monde, pour la première fois accueillis par la Chine, qui se sont terminés dimanche 29 mars à Shanghaï, attestent que l'impact de cette mesure est pour le moment plutôt limité. Peu suicidaires, les compétiteurs n'ont apparemment pas été désireux de brusquer trop rapidement des habitudes séculaires.
C'est sur l'adagio du Concerto pour piano n° 23 de Mozart, pour le programme libre, que les nouveaux phénomènes tricolores, les jeunes Gabriela Papadakis et Guillaume Cizeron, 19 et 20 ans, ont remporté la médaille d'or en danse sur glace vendredi 27 mars, devenant les premiers champions du monde français en patinage depuis Brian Joubert, sacré à Tokyo en 2007. Cet extrait d'une infinie tristesse du divin Wolfgang est bien connu des cinéphiles puisqu'il accompagna le film mélodramatique L'Incompris (1966) de Luigi Comencini, et plus récemment, Le Nouveau Monde (2005) de Terrence Malick. Mais aussi une publicité d'Air France, réalisée en 2011 par le chorégraphe Angelin Preljocaj avec les danseurs Virginie Caussin et Benjamin Millepied.
On est loin des audaces qu'osaient les mêmes Papadakis et Cizeron lorsque, pour leur première saison chez les seniors, en 2013-2014, ils patinaient sur les tambours funèbres et les froids synthés du musicien lyonnais Woodkid. A cette date, il était déjà autorisé en dehors des exhibitions de choisir des musiques avec paroles pour la danse sur glace, en raison notamment de la multiplicité des styles musicaux abordés pour le programme court, qui vont du blues au cha-cha-cha ou à la rumba. Depuis son intronisation, en 1976, la quatrième des disciplines olympiques faisait office d'avant-garde.
Aux Mondiaux de Pékin, les médaillés d'argent, les Américains Madison Chock et Evan Bates se sont pourtant sagement illustrés sur Un américain à Paris de George Gershwin, entendu pour la deuxième fois lors de la finale, alors que les troisièmes, les Canadiens Kaitlyn Weaver et Andrew Poje, ont brillé par leur originalité en optant pour Les Quatre Saisons de Vivaldi.
Les jurés, sourcilleux gardiens de la tradition
C'est que, plus encore que le conservatisme supposé du public, il convient de ne pas brusquer les jurés, sourcilleux gardiens de la tradition, notamment ceux issus des pays d'Europe de l'Est. Nathalie Péchalat et Fabian Bourzat, couple numéro un de la danse sur glace en France avant l'avènement de Papadakis et Cizeron, l'avaient constaté à leurs dépens à Sotchi.
Pour leur dernière saison, les champions d'Europe 2011 et 2012 avaient retenu un medley original, intitulé Le Petit Prince et sa rose, mêlant Jeux interdits au Carrousel du Cirque du Soleil. Ils échouèrent au pied du podium olympique, devancés par les Russes Elena Ilinykh et Nikita Katsapalov, ovationnés pour un Lac des cygnes qui fut salué par la projection de dizaines de bouquets de fleurs sur la patinoire Iceberg.
« En fait, on n'avait pas de gros espoirs quand on a vu le tirage au sort des juges », reconnut après coup Fabian Bourzat. Sa partenaire maugréait, elle, contre ces concurrents qui « bétonnent avec les classiques du ballet russe ». Bourzat ajoutait qu'« il faudrait que les juges sortent du milieu du patinage et regardent Danse avec les stars », l'émission de TF1 que Péchalat a d'ailleurs rejointe à sa retraite.
Samedi à Shanghaï, chez les hommes, l'Espagnol Javier Fernandez a créé la surprise davantage en devançant le champion du monde et champion olympique en titre, le Japonais Yuzuru Hanyu, qu'en patinant sur du Rossini. Le Français Florent Amodio, qui a fini neuvième, est celui qui avait tenté de faire bouger les lignes dès la saison 2011-2012. Il avait alors fait fi du règlement de l'époque en se présentant sur une sélection de chansons de Michael Jackson, des Black Eyed Peas ou de Timbaland, quitte à laisser des points au passage.
Rachmaninov, un des premiers pourvoyeurs du patinage
Les femmes ont, de leur côté, privilégié les instrumentaux. La Russe Elizaveta Touktamycheva s'est imposée sur du disco italien faisandé (le groupe La Bionda) devant la Japonaise Satako Miyahara, qui a jeté son dévolu sur un extrait de la comédie musicale Miss Saïgon de Claude-Michel Schönberg, auteur de l'immortel slow Le Premier Pas. La troisième, la Russe Elena Radionova, a rétabli la tradition avec du Rachmaninov. Avec ses compères saint-pétersbourgeois, l'inusable Tchaïkovsky (Le Lac des cygnes, Casse-noisette, Roméo et Juliette) et Rimski-Korsakov (Shéhérazade), le compositeur demeure un des premiers pourvoyeurs du patinage, surtout avec l'adagio de son Concerto pour piano n° 2 (également connu pour avoir engendré la mélodie du classique pop All By Myself) et sa Rhapsodie sur un thème de Paganini.
Les classiques ont donc encore de beaux jours devant eux. On n'a pas fini d'entendre dans les patinoires l'espagnolade du Concerto d'Aranjuez de Rodrigo, la valse viennoise du Beau Danuble Bleu de Johann Strauss II, la sensibilité française avec La Méditation de Thaïs de Jules Massenet et évidemment le Carmen de Bizet, finlandaise avec La Valse triste de Jean Sibelius Sans oublier les deux Clair de lune, que ce soit celui de Debussy ou celui de la sonate de Beethoven. Pour le programme court, La Danse du sabre d'Aram Khatchatourian a peu de risques d'être détrônée puisque sa durée, d'environ 2 min 30, convient idéalement à ce format.
La fantaisie n'est pas encore de mise et l'imagination pas proche de prendre le pouvoir. Y compris pour les musiques de film. Là, le compositeur de Fellini Nino Rota continue de remporter les suffrages avec La Strada ou son Roméo et Juliette (celui du film de Franco Zeffirelli). La vogue pour La Liste de Schindler, inaugurée par Katarina Witt, semble en revanche déjà passée puisqu'on n'a ouï qu'une seule fois le violon d'Itzhak Perlman lors de ces Mondiaux. Peut-être parce qu'une controverse avait accompagné la prestation de la jeune (15 ans) patineuse russe Ioulia Lipnitskaïa, qui portait une robe vermillon rappelant la fillette au manteau rouge dans le film de Steven Spielberg, consacré à la Shoah.
Au rayon des comédies musicales, il serait tout de même bon que les coachs et les chorégraphes se consultent. Afin que les spectateurs ne soient plus obligés d'entendre à cinq reprises lors de l'épreuve masculine le Phantom of the Opera d'Andrew Lloyd Webber
MUSE, LANA DEL REY, CHRISTINA AGUILERA OU PETER GABRIEL
On retiendra toutefois que les Canadiens Meagan Duhamel et Eric Radford ont décroché la médaille d'or en couple grâce à un medley de chansons d'un groupe de rock en activité, les Britanniques Muse qui uvrent dans le « symphonique » pour leurs admirateurs, le pompier pour leurs détracteurs. Mais les juges ont moins goûté d'autres tentatives de renouvellement faites sur des chansons de Lana Del Rey, Christina Aguilera ou Peter Gabriel.
Il reste un peu moins de trois ans pour qu'à Pyeongchang (Corée du Sud), se tiennent, en février 2018, les premiers Jeux chantants pour le patinage. D'ici là, on peut déjà parier que les plus démagogiques auront intégré le viral Gangnam Style de Psy, alias Park Jai-sang, à leur programme pour se mettre les spectateurs du pays du Matin-Calme dans leur poche.
Le patinage préfère toujours les musiques sans paroles
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