dimanche 29 mars 2015

Le Nigeria dans l’attente après une journée de vote dans le calme

Le Nigeria dans l’attente après une journée de vote dans le calme



Et le Nigeria de pousser un premier soupir, intense, de soulagement, dimanche 29 mars : la veille, le jour de vote tant attendu, tant redouté, s’est terminé sans problème majeur. Et cela constitue déjà une première victoire pour le pays tout entier.



Boko Haram, pour commencer, avait promis de perturber le scrutin, cet exercice « impie » qui semble pourtant provoquer l’enthousiasme général au Nigeria, toutes religions confondues, et laisse planer la possibilité, pour la première fois depuis le retour à la démocratie en 1999, qu’un parti d’opposition, le All Progressives Congress (APC), remporte la victoire face à l’indéboulonnable parti au pouvoir, le People’s Democratic Party (PDP).



Le groupe djihadiste d’Abubakar Shekau n’a pas déclenché d’attentats-suicides majeurs, comme il l’avait fait ces dernières semaines, notamment dans les principales villes de son aire d’action, dans les états du nord-est du pays. De tels attentats auraient été susceptibles, peut-être, de faire dérailler le vote, surtout dans les camps des déplacés (près d’un million de personnes au total ont été chassées de chez elles), où des explosifs ont été retrouvés les jours derniers. Néanmoins, des hommes de Boko Haram ont attaqué plusieurs localités, dans l’Etat de Borno ou celui, voisin, de Yobe, où les assaillants ont tué vingt-cinq personnes dans une seule localité.



Dimanche, une tentative d’attaquer Bauchi a par ailleurs été lancée par une colonne d’une dizaine de véhicules de la secte islamiste. Des combats ont opposé plusieurs de ses membres aux forces armées à une dizaine de kilomètres de la ville, alors que le vote avait encore lieu dans certains quartiers. Il n’empêche : les insurgés ont subi de sérieux revers militaires au cours des dernières semaines, et leur capacité à perturber l’élection de manière significative aurait pu apparaître comme un signe de force : ce ne fut pas le cas. Leur ville symbole, Gwoza, prise quelques heures avant le scrutin : cela aurait pu passer pour une manœuvre maladroite de récupération. Mais rien de ce qui concerne Boko Haram n’a plus ces jours-ci d’impact sur l’opinion nigériane hors des zones touchées par l’insurrection. Le pays est tout entier emporté par la bataille politique et le résultat de l’élection, bien plus que par les mouvements de ses soldats dans le lointain Nord-Est.



Autre catastrophe évitée : les mesures d’intimidation d’électeurs que l’opposition, le All Progressives Congress (APC), disait redouter le jour du vote, n’ont globalement pas eu lieu. Hormis quelques incidents isolés, les groupes de voyous n’ont pas terrorisé des régions entières. En tout cas pas jusqu’à présent. Dans la région du delta du Niger, d’où est originaire le président, Goodluck Jonathan, de nombreux groupes de « militants » surarmés ont déjà annoncé qu’ils n’accepteraient pas de défaite de leur candidat. Mais cette question, pour l’heure, est suspendue, et jusqu’ici, nul n’a déclenché de perturbations du scrutin. Les policiers et soldats, dans l’ensemble, ont surtout veillé à la sécurité générale (d’où, sans doute, l’absence de grands attentats). Dimanche, en cours de journée, il était encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur la tenue du scrutin, d’abord, parce que le vote n’était pas terminé à l’échelle nationale : il avait fallu rouvrir 300 bureaux de vote (sur 153 000 à travers tout le pays) où l’élection n’avait pas pu se terminer samedi soir, pour cause de problèmes techniques. Ensuite, il faudra attendre la proclamation des résultats. C’est à présent le seul sujet de préoccupation national.

Une interminable journée d’attente



A quoi se mesure l’envie d’une nation de peser sur son destin un jour d’élection ? A son irrépressible désir de voir un parti ou l’autre triompher dans un vote dans l’espoir que la vie, l’éducation, l’emploi, l’accès aux soins, en soient améliorés. Mais aussi, à son courage physique. Tout cela est réuni en concentration très élevée au Nigeria, où il a fallu, samedi, que des dizaines de millions d’électeurs endurent une interminable journée d’attente, dans des villes où toute activité avait cessé, pour enfin voter. Ces longues heures de retard doivent beaucoup à un nouveau système d’enregistrement et d’identification des électeurs, à l’aide d’une carte biométrique.



Ces cartes personnelles ont été adoptées pour limiter l’ampleur des fraudes : chacune d’entre elles contient une puce dans laquelle se trouvent la photo et les empreintes digitales de l’inscrit. Cela interdit, en théorie, les « achats » de cartes en groupes par les partis politiques. Mais samedi matin un grand nombre de lecteurs de cartes à travers le Nigeria se sont révélés défaillants : des retards notables ont été enregistrés dans près de la moitié des bureaux de vote à l’échelle du pays, selon la Situation Room, un regroupement d’organisations de la société civile. Même le président de la république, Goodluck Jonathan, a été obligé de s’y reprendre à plusieurs fois et essayer plusieurs appareils, pour voir finalement ses empreintes digitales reconnues, et pouvoir voter dans son bureau de vote de l’Etat de Bayelsa (sud du pays).



A Kaduna (à 160 km au nord d’Abuja) aussi, de nombreux lecteurs refusaient samedi matin de reconnaître les empreintes, tout en lisant les cartes… Il a donc fallu se résoudre à recourir aux vieilles méthodes : émarger les noms sur une liste imprimée des inscrits… « Nous avons fait de notre mieux dans des circonstances très difficiles », a déclaré le président de la Commission nationale électorale indépendante (INEC), Attahiru Jega à la télévision samedi soir, en ajoutant : « Cela n’a pas empêché les lecteurs de carte d’ajouter une crédibilité substantielle [au scrutin]. » Un avis partagé par de nombreux votants. Dans le nord de Kaduna, en zone ultra-favorable à l’APC, les inscrits, hommes et femmes, sont arrivés avant le lever du soleil, samedi. Le soir, ils étaient encore en train d’attendre devant les tentes érigées sur la place devant l’hôpital de Badarawa. On tient le coup en grignotant un beignet ou une tranche de pastèque. Se plaindre ? Jamais de la vie ! « Il n’y a que les enfants qui se plaignent. On ne bouge pas ! On restera toute la nuit, s’il le faut, mais je ne partirai pas d’ici avant d’avoir voté pour le changement [pour l’APC] », commence par expliquer un homme dans la foule, avant d’ajouter : « Bien sûr, c’est long, mais avec les nouvelles cartes, on a moins de chaos, moins de voyous qui viennent tout perturber. C’est beaucoup plus difficile de tricher. »

L’étape délicate de l’annonce des résultats



Dans le sud de la ville, non loin de la raffinerie, on partage ce point de vue, même si le vote se fait en revanche en faveur du parti au pouvoir, le PDP. Il est facile de le constater puisque les électeurs, comme les électrices, sortant de l’isoloir, exhibent soigneusement leur bulletin avant de le plier, afin qu’il soit bien visé par deux hommes mystérieux, au sein de la foule, qui vérifient ainsi que le vote a bien été fait en faveur du parti au pouvoir. En une heure de dépouillement, pas un électeur n’évite cette « exhibition ». Tous ont voté, sans exception, pour le PDP.



Ce n’est qu’une des multiples imperfections de ce scrutin géant (68,8 millions d’inscrits à l’origine, mais peut-être un dixième d’entre eux n’ont jamais reçu leur nouvelle carte biométrique). Une fois les derniers bureaux de vote fermés commencera l’étape suivante : l’annonce des résultats. La plus dure. La plus délicate. Pour l’emporter à l’élection présidentielle, l’un des quatorze candidats doit réaliser le score le plus important, mais aussi obtenir au moins 25 % des voix dans les deux tiers des 36 Etats de la fédération nigériane. Les résultats de l’élection des sénateurs et des députés, dont l’élection s’est tenue également samedi, n’auront pas le même impact que le choc des titans : les deux candidats principaux, Goodluck Jonathan (PDP) et Muhammadu Buhari (APC). Le 11 avril, une autre élection permettra d’élire les gouverneurs et les assemblées locales des Etats. D’ici là, le Nigeria devrait connaître le dénouement du scrutin le plus important pour le pays depuis le retour à la démocratie. Dans la même ferveur. Dans la même infatigable patience.








Le Nigeria dans l’attente après une journée de vote dans le calme

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